[Série]NUAGE ROSE

N

Septième épisode de la série « Mes cellules se dégrisent ». Le 1er se lit , le 4e se lit ici, le 5e de ce côté. Et la série entière sur ce blog. Le sujet parle visiblement. Merci encore à l’auteure de ce feuilleton en temps réel de nous laisser publier un nouvel épisode.

La journée avait démarré aux aurores par un hurlement barbare (surnommé Morning Glory dans la liste déroutante des sonneries de réveil de mon téléphone) qu’un ciel griffé de coups de peinture rose orangé avait rendu moins traumatique.

A ma montre, (je n’en porte pas, mais vous voyez ce que je veux dire), une heure que je ne consens pas à honorer de ma présence d’habitude faut pas déconner, c’est-à-dire grosso modo avant 8 h.

Durant cette journée, s’enchaînèrent pas mal de trucs irritants :

– coincée dans les embouteillages pendant 3 heures,

– attente interminable pour les repérages d’un tournage,

– Tombée dans les orties près d’un champ d’épinards (ne me demandez pas ce que je fais dans la vie),

– errance inutile dans un centre commercial glauque à la sortie duquel j’aperçus deux personnes avec qui je n’avais aucune envie de discuter et surtout pas de tout et de rien et encore moins de quand est-ce qu’on sort pour s’en mettre une, provoquant de ma part un virage pavlovien à 360 degrés, je revins comme une conne sur mes pas, contrainte de faire du lèche-vitrines dans l’allée principale du centre commercial bordée de magasins de fringues et d’échoppes de vins et spiritueux (oh dis-donc qu’elle est jolie la bouteille de champagne avec son chapeau tout doré comme une guirlande de Noël, ta gueule la hyène)…

… emmerdes sans conséquence, qui, en temps ordinaire de mon passé simple et alcoolisé auraient nécessité l’intervention urgente de la ouate (voir comment j’en suis arrivée là) ou à tout le moins de sa promesse de venir à ma rescousse le soir venu pour noyer définitivement cette succession d’émotions inopportunes (ennui, colère, frustration, panique, honte, irritation, sentiment d’inadéquation chronique, ras-le-bol de se regarder en train de faire les choses, sentiment d’abandon, de solitude métaphysique, et qu’est-ce que t’as vraiment fait de ta vie espèce de ratée, tiens une bouteille de champagne, ta gueule la hyène j’ai dit, etc, cocher les cases correspondantes).

Cette journée se termina après la nuit tombée, vers 21 h, et lorsque je franchis le palier de la porte et m’écroulai sur le canapé en jetant mes baskets dans la poubelle (je visais pourtant le petit placard à côté de l’entrée), et, que comme chaque soir, en partenariat avec mon hippocampe, je procédai à son visionnage (de la journée pas de l’hippocampe) accéléré dans ma tête, j’eus une révélation.

Ce truc bizarre que j’avais accueilli avec curiosité et suspicion de longues heures durant, comme un beau gosse qui vous sourit avec insistance à une soirée, c’était un sentiment de bien-être. Je venais de passer une journée entière à être à l’aise dans mes baskets (je les ai d’ailleurs immédiatement sorties de la poubelle) sans qu’aucune béquille ouateuse ne soit requise au moment du crépuscule pour faire taire mes démons intérieurs.

Mieux encore, j’avais tourné les talons à la vue de deux personnes dont la fréquentation, je me l’avouais enfin, était principalement due à la consommation de bouteilles de champagne à capuchons dorés, parce que finalement on n’avait rien en commun à part des rires abrutis et une résistance à l’alcool supersonique (jusqu’à un certain point, voir mon musée des horreurs dans comment je m’appelle ?).

J’avais réussi à m’écouter. Et ça ne m’arrive pas souvent depuis ma naissance. (Je ne parle pas de l’écoute du babillage incessant de mes petites figurines devant le tableau de bord).

M’écouter, me faire confiance. Je me sentais ancrée.

Ce sentiment de béatitude, de bonheur intergalactique, d’ancrage paisible est appelé nuage rose, lune de miel de l’abstinence. Clare Pooley, auteure du livre Sober diaries et blogueuse en parle dans ce post. Elle n’est pas la seule.

(Je n’arrive pas à trouver des articles vraiment complets en français. On a du boulot pour édifier la bibliothèque.)

Et bien sûr, comme le reste, le nuage rose ne fait pas long feu. This too shall pass, baby.

Mais tant qu’il est là et que la kryptonique ne vient pas dégonfler mon nuage, je savoure mes nouveaux supers pouvoirs (tiens, si je m’achetais une nouvelle cape robe ?).

Pensées-papillon : Alcoolique est un gros mot. Le chocolat chaud est
meilleur que le vin chaud.

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