Dépression: le sentiment d’exister attaqué, et comment le (re)monter soi-même (kit fourni)

Dessin Carole Maurel carolemaurel.blogspot.fr

Quand il écrit Exister. Le plus intime et fragile des sentiments en 2012, Robert Neuburger est frappé par la fréquence d’une certaine forme d’expression de la souffrance depuis le début des années 2000: les femmes et les hommes qui consultent souffrent “que leur sentiment d’exister soit, sinon anéanti, du moins fortement attaqué”.

Les médecins parlent habituellement de dépression pour qualifier cet état mais le psychiatre et psychanalyste n’emploie le terme que très peu dans cet ouvrage. Pour lui, le “fait de ne plus se sentir exister ou, tout au moins, de se sentir moins exister, ce qui se traduit par le sentiment de ne pas se percevoir d’avenir, de se trouver sans projet, hors du temps » n’est pas une maladie mais un symptôme. “Le symptôme qu’un événement est venu troubler la construction du sentiment d’exister, entraînant un doute sur le droit de ces personnes à exister dans le monde”. Leur sentiment d’exister a été attaqué. Par qui? Par quoi? Comment?

1 – Le sentiment d’exister n’a rien de naturel

C’est une construction destinée à échapper à l’angoisse fondamentale que suscite la conscience de notre mort inéluctable.

2 – C’est dès la naissance que nous sont enseignés les matériaux…

… qui nous permettront plus tard de nous faire exister.

3 – Les matériaux qui confèrent à l’enfant son humanité, donc les moyens de se faire exister, sont essentiellement des relations :

  • celle, primaire, avec une mère ; et celles avec d’autres personnes de l’entourage ;
  • le fait de se voir attribuer une identité de par les appartenances familiales et sociales qui lui sont donnée.
Dessin Carole Maurel carolemaurel.blogspot.fr

Il faut les deux : une relation avec une autre personne, mais dans un cercle d’appartenance qui la contient, la socialise, l’encadre (la mère dans la famille, un camarade dans la classe, etc.). Autrement dit, pour être structurantes, les relations interindividuelles doivent se situer dans des groupes d’appartenance, le premier d’entre eux étant le groupe familial. Ainsi, l’enfant est non seulement dans une relation fusionnelle avec sa mère mais il est reconnu par sa famille dès sa naissance. On dit: “Il ressemble à tante Rose”, “C’est un Maldès tout craché”. On lui donne un prénom, on le déclare à la mairie, etc. Autant de rituels qui lui confèrent une identité dans le groupe familial.

Mais l’enfant puis l’adulte appartiennent à d’autres cercles. La relation d’appartenance est un partage, avec d’autres personnes, de valeurs, de croyances, de buts, d’intérêts qui créent une communauté réelle et/ou psychologique. L’appartenance impose un engagement vis-à-vis du groupe. Et crée en échange une solidarité, une loyauté entre les membres. Cette reconnaissance par d’autres du groupe est un support identitaire fondamental.

4 – Il existe 4 grands types de groupes d’appartenance

  • Les groupes familiaux

La spécificité d’une famille est sa fonction, qui consiste à transmettre. Elle transmet la répression des instincts, l’acquisition de la langue, et donc elle permet un certain développement psychique, une certaine organisation des émotions. Plus largement, elle transmet des structures de comportement et de représentation, établissant ainsi une continuité psychique entre les générations.

Cette inscription au sein d’une famille est donc essentielle pour le développement ultérieur de l’enfant. C’est alors qu’il reçoit la sécurité de base qui l’inscrit dans la vie et lui donne l’assurance d’avoir le droit d’exister.

Le sentiment d’exister que confère l’appartenance à une famille tient à ce que nous sommes reconnus aptes à la transmission et dignes de transmettre (créer une famille, créer une entreprise, etc.).

Certains n’ont pas le sentiment d’avoir été reconnus dans leur contexte familial et passent leur vie à rechercher une reconnaissance, un lien de filiation, dans un contexte familial mais aussi professionnel ou politique.

  • Les groupes fraternels (amis, collègues)
  • Le groupe couple

Le couple est aujourd’hui une source majeure du sentiment d’exister, pour ses deux niveaux de relation: relation à l’autre (se sentir aimé) et appartenance à la “maison-couple”.

Le couple intervient dans la construction du sentiment d’exister pour la sécurité qu’il fournit mais surtout parce qu’il renforce notre identité sexuée qui nous fait exister en tant qu’homme ou en tant que femme, selon Neuburger. Ce sentiment était conféré autrefois par une société sexiste qui distinguait le destin des êtres en fonction de leur sexe.

  • Les groupes idéologiques, qui se constituent autour d’une croyance religieuse, scientifique, politique, artistique, etc.

5 – Et le travail?!

La catégorie d’appartenance du monde du travail peut être investie de différentes façons: certains s’y verront comme dans une famille, d’autres y trouveront un sentiment de fraternité avec leurs collègues, et d’autres encore y projetteront un besoin de support idéologique, par exemple un idéal altruiste ou scientifique.

6 – Plus on a de dépendances, plus on est libre

Pour la plupart, nous appartenons à plusieurs groupes de type fraternel (amical, professionnel), à un ou des groupes de type familial (famille actuelle, famille d’origine), à une maison-couple, à des groupes structurés par une idéologie, une église, des associations, etc.

Et comme l’homme n’a pas la capacité à se faire auto-exister, sa liberté consiste à choisir ses dépendances, c’est-à-dire les relations qu’il tisse avec d’autres êtres et ses appartenances à des groupes qui offrent une reconnaissance. L’autonomie suppose la complexité, laquelle suppose une très grande richesse de relations de toutes sortes avec l’environnement.

7 – Peut-on tout accepter des groupes auxquels ont appartient?

« Le contraire de la dépression n’est pas un état supposé “normal”, c’est la rage! » Robert Neuburger (Dessin Carole Maurel carolemaurel.blogspot.fr).

C’est le paradoxe de l’existence: le désir d’autonomie cohabite avec le besoin de relations. Comment savoir où placer le curseur? C’est là qu’intervient la notion de dignité, répond Robert Neuburger.

Il y a une limite fragile, qui peut être remise en question, entre l’intime et la norme extérieure, la dignité individuelle et la dignité d’appartenance, qui suppose du renoncement à des attitudes et des convictions personnelles.

Si je considère que le groupe auquel j’appartiens dysfonctionne, que ses idéaux ne répondent plus aux miens, je peux tenter soit d’agir sur le groupe, par exemple en entrant en politique, dans une association, un syndicat ou en entrant en thérapie de couple, soit de le quitter, quand cela est possible.

8 – Quand nos relations et nos appartenances posent problème

  • un être humain n’a pas reçu à sa naissance ou dans son enfance le capital de confiance qui lui est dû, d’être reconnu, identifié, aimé (enfant surnuméraire, non souhaité, mère déprimée, isolement maternel, absence de contexte familial, etc.).
  • des événements de la vie déstabilisent ou remettent en question la construction personnelle qu’est le sentiment d’exister (désamour, séparation, deuil, problèmes de reconnaissance professionnelle, migrations forcées, solitude et misère).
  • des attaques à la personne (morales, corporelles, agressions, déshumanisation).

9 – Comment s’en sortir?

Sports extrêmes, fantasmes suicidaires, conduites addictives, jeux de hasard, automutilation, (auto)destruction, certains comportements passionnels sont autant de moyens de tenter de se faire exister.

Et sinon?

Il s’agit de restaurer la dignité humaine, c’est-à-dire la liberté qui est attachée à la condition humaine, la capacité de choisir son destin, de réfléchir, de se confronter à ses angoisses existentielles. Retrouver une dignité d’appartenance en s’investissant dans des groupes qui conviennent à nos besoins relationnels et à nos valeurs est souvent plus bénéfique qu’un traitement médical.

Le sublime est une échappée par le haut, écrit Neuburger. Se redonner le sentiment d’exister au travers d’une création, d’une oeuvre qui est une façon d’échapper à la souffrance de la réalité. Selon le talent et les ressources de chacun, cela peut se traduire par le fait de créer une oeuvre d’art, de se plonger dans une ambiance mystique, ou de laisser une trace d’une quelconque manière.

Exprimer sa rage, enfin, est une bonne manière de sortir de ce malaise. “Le contraire de la dépression n’est pas un état supposé “normal”, c’est la rage!” remarque Neuburger. Attention donc, prévient le psychiatre, à cette catégorisation en “dépression”, qui faire taire notre questionnement sur notre sentiment d’exister dans un environnement insatisfaisant, menaçant, parfois traumatisant, où notre dignité a été bafouée, blessée, ou seulement méconnue. Ce questionnement doit pouvoir s’exprimer.

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