« Le silence du psychothérapeute a un impact beaucoup plus important qu’un baratin absolument impossible »

Dessin de Carole Maurel avec un vrai pinceau, du vrai papier et de la vraie encre (carolemaurel.blogspot.fr).

Michel Vinogradoff est médecin acupuncteur et homéopathe. Passionné par le taoïsme, il s’est également formé à l’hypnose ericksonienne et dresse un pont entre les deux approches dans Erickson, Lao Tseu et nous et nous et nous… (Satas, 2015). Pour lui, l’hypnose peut aider n’importe quel patient quand elle est pratiquée « vivante ». Dans ces cas-là, chacun d’entre nous peut laisser la vie retrouver le chemin qui lui convient, spontanément. Michel Vinogradoff nous explique.

En quoi l’hypnose peut-elle être vivante ?

Que ce soit en médecine générale, en psychothérapie ou dans n’importe quelle spécialité médicale, j’encourage à tendre vers ce que j’ai appelé l’ « hypnose vivante ». Par là, je fais référence à un ouvrage de Lao Tseu, fondateur du taoïsme : le Dao de Jing. Il y est écrit que « l’homme vivant est tendre et souple. Mort, le voici dur et rigide… » Puis que « dureté, rigidité sont compagnes de la mort. Tendreté, souplesse compagnes de la vie. » Je distingue ainsi l’hypnose vivante des rites habituels qui sont rigides et qui sclérosent.

Pour quelle raison les rites d’hypnose directive sont-ils moins efficaces selon vous ?

Parce que j’ai constaté que ce n’était pas la peine de suivre un protocole, qu’on est beaucoup plus efficace avec peu de mots, qu’on a un impact beaucoup plus puissant par le silence que par un baratin absolument impossible. Peu de mots sont nécessaires en réalité. Et si on en utilise, il faut privilégier surtout les verbes en rapport avec le mouvement et les verbes en rapport avec l’espace, parce qu’on va faire bouger la personne à ce moment-là. Le médecin se fie aux mouvements du corps qu’il voit chez le patient ce qui lui permet d’élargir ou de rétrécir le mouvement. Et puis les adverbes sont utiles parce que ce sont des verbes qui sont dans le mouvement présent. Ca veut dire qu’ils ont un but, une direction.

Vous conseillez aux médecins beaucoup de silence alors ?

Oui et c’est une vision complètement taoïste. La quiétude et le silence sont thérapeutiques. Un texte de Zhuang zi dit que « sans voir, sans écouter, le corps au repos de lui-même retrouve la norme ». Le corps retrouve la vie et il se soigne, de lui-même, s’il est dans la quiétude. Ce n’est rien d’autre que de l’hypnose.

Vous dites que le corps se soigne de lui-même en hypnose. Ca veut dire que le récit que fait le médecin au patient importe peu finalement ? Il pourrait ne pas parler à la limite ?

C’est l’état d’hypnose lui-même qui soigne. C’est pour ça qu’il faut que le thérapeute soit lui-même en hypnose, parce qu’il faut qu’il y ait une résonance entre les deux personnes, sinon ça ne marche pas. Et si le thérapeute parle peu, il doit utiliser des mots de non-sens, c’est-à-dire – avec un petit peu d’humour – des mots insensés. Des mots neutres, comme des verbes ou des adverbes.

Vous voyez, ça va complètement à l’encontre de l’idée du thérapeute qui guide. Parce que, si vous utilisez des mots sensés, vous allez très vite perdre le patient. Il va partir dans l’histoire et la connotation qu’a le mot pour lui. Prenez un mot comme « confiance » : il n’a pas la même signification pour vous et pour moi. Le thérapeute perd le patient avec un mot pareil.

Il s’agit toujours, dans cette hypnose vivante, de ramener les choses au corps. Parce qu’il y a quelque chose de vraiment vrai, avec lequel on ne se trompe jamais, c’est le corps. Le corps ne ment pas alors que la raison ment. La raison s’égare, elle est pleine d’illusions.

Comment reconnaître ce qui est décidé par la raison et ce qui relève du corps, si le corps est meilleur conseiller ? Comment savoir à qui on se fie ?

Personne ne décide de rien à mon avis. Il s’agit de précipiter le patient dans un état que les Chinois appellent le Wu : le « il n’y a pas ». Il n’y a rien de déterminé, il n’y a rien de formé. Tout est possible finalement, d’une certaine façon. Il s’agit de mettre la personne – ou elle peut s’y mettre elle-même – dans cet état où tous les possibles sont ouverts pour que, d’elle-même, elle trouve un possible sans symptôme et qu’elle reprenne son chemin.

Les Taoïstes privilégient la vie dans ce qu’elle a de plus simple et de plus spontané. Et plus on intervient avec la raison, les rites, etc., plus on la contraint, plus on l’enferme, plus on la déforme, plus elle va souffrir. Et si elle souffre, vous aurez un symptôme.

Un symptôme, c’est un mouvement qui s’est arrêté. Donc il s’agit de remettre la personne en mouvement. En la plongeant dans cet état d’indétermination, cet « il n’y a pas » taoïste, pour retrouver toutes les capacités que la vie a en elle, et laisser faire. Ne pas intervenir. Ca se fait de soi-même, spontanément. C’est la vie qui est spontanée. Elle passe son temps en nous à s’adapter, à s’organiser, à se maintenir dans le meilleur état possible. Et elle le fait de manière très efficace et effective. Simplement, nous on l’emmerde, et on lui complique la vie, en buvant trop, en mangeant trop, en se fatigant, qui sont tous des résultats de la raison.

L’hypnose, comme les aiguilles de l’acupuncture, remet en mouvement. L’hypnose, c’est de l’acupuncture sans aiguilles.

L’hypnose n’est donc pas seulement un outil ?

L’hypnose est un état d’être, une façon de vivre. Parce que, si vous réfléchissez bien, les gens qui vous racontent leur vie, vous parlent d’une métaphore. Un patient qui consulte raconte un symptôme qui est une métaphore. Seulement, cette métaphore a été dans le mur et il faut en changer. Il faut donc le mettre en présence d’un état où toutes les métaphores sont disponibles. Et où il n’y en a aucune de précises. Là, le corps de lui-même va trouver sa nouvelle métaphore il y a peut être trop souvent le mot métaphore. La vie va réorganiser son efficacité d’elle-même. C’est taoïste : la notion d’ « ainséité ». Les choses sont ainsi parce qu’elles sont ainsi. On parle là de cette spontanéité naturelle, qui contient son propre ordre, ses propres limites, ses propres frontières. Laisser s’exprimer cet ordre-là, permet de guérir.

Quand vous dites qu’il s’agit de ne rien faire, ça revient pour le médecin à se tourner les pouces ?

Le rien faire des Taoïstes ne revient pas à ne rien faire du tout, mais plutôt à ne pas intervenir, ne pas faire intervenir son ego, ne pas contester l’ordre des choses, le principe de la vie. Ne pas émettre d’initiatives personnelles, qui seraient de l’ordre de l’ego, de la personnalité pensante.

Comme quand on veut traverser une rivière. Si vous voulez aller sur l’autre rive exactement en face, vous allez vous épuiser. Si en revanche, vous vous laissez porter par le courant de la rivière sans viser un point d’arrivée, vous allez arriver de l’autre côté en diagonale sans effort. Ne pas intervenir, c’est ça. Ne pas aller contre, ne pas contester, disent les Taoistes. C’est très important dans la relation thérapeutique. Ne pas décider pour l’autre. La vie ne demande de direction à personne, elle fait ce qu’elle a à faire et elle est très efficace.

La preuve : nous sommes dans l’état dans lequel nous sommes malgré tout ce que nous avons pu faire. L’idée de résilience n’est rien d’autre que cette force de la vie. La vie continue en chacun de nous, que nous ayons vécu des horreurs, que nous soyons passés par des états pas possibles. La force de la vie à continuer à avancer.

Propos recueillis par Elsa Fayner

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