« C’est comme une planète dans mon ventre », Anaïs Michel, haltérophile

L’effort intense engendre de la souffrance. Chaque sportif a sa méthode pour l’oublier ou l’utiliser à son profit. Des techniques qui relèvent de l’hypnose. Anaïs Michel, 28 ans, 4e en moins de 48 kg au championnat d’Europe d’haltérophilie de 2015, sent « comme une planète dans [son] ventre ».

“Paradoxalement, l’haltérophilie est un sport de légèreté. Alors, quand j’arrive à l’entraînement, je dépose mes ennuis aux vestiaires. Je dépose, quasiment physiquement, tout ce qui a pu me gêner à l’extérieur, tout ce qui peut me fatiguer, tout ce qui s’est passé avant. Je mets mes affaires d’entraînement et je repars à zéro. Dans une nouvelle peau. C’est bête mais ça me permet d’être déjà plus légère, l’esprit libre. Après, j’ai mes petits rituels. Je mets mes poignets de force, je vais faire un peu de vélo et je commence à dire à mon corps qu’on va taper dedans. Ensuite, je fais un échauffement articulaire, je fais bouger un peu toutes mes articulations. Ensuite seulement, je m’échauffe spécifiquement sur la barre. Ce n’est qu’après que mon corps est prêt. Parce que je lui ai parlé pendant vingt minutes. C’est ça l’échauffement, en fait : dire à son corps qu’il va faire des efforts, qu’on est parti pour s’entraîner.

Avant de passer sur la barre, je la nettoie un peu à la main, j’enlève les traces de magnésie pour qu’elle soit bien propre. Je la frotte comme un chat un peu… sans réfléchir. Je serre mes poignets de force. Je vais mettre de la magnésie sur mes mains. J’avance près de la barre. Je me dis que je vais en faire mon affaire, que c’est moi qui vais l’emmener au-dessus de ma tête. Je pense juste à elle. Je m’isole du reste de la pièce. C’est elle et moi à ce moment là. Je me place. Je regarde droit devant moi. Je pense à bien fixer mon dos. Je mets mes mains sur la barre et je pense à la mener vers le haut, c’est tout. Je pense à la force que j’ai en ce moment et j’essaie de l’optimiser au maximum, pour que le geste soit efficace. C’est là que je déconnecte complètement.

Anaïs Michel, haltérophile. Photo Hélène David / helenedavidphoto.com

Je reconnais la voix de mon entraîneur mais je ne comprends pas ce qu’il me dit vraiment. Je n’écoute pas… je ne déchiffre pas mais je sens son soutien. Je vois flou. J’ai comme un voile sur les yeux. Transparent. Blanc… comme une lumière, quelque chose de lumineux. Je sens que ce moment-là est pour moi. Je me centre uniquement sur moi, sur ma barre. Je sens quelque chose dans le ventre, quelque chose qui part du ventre. C’est rond. C’est comme un noyau un peu. Comme une planète et le centre de la planète est fort. Je ne sais pas si ça a un lien avec le centre de gravité mais je sens que ma force part du ventre. Et puis d’un seul coup ça se passe, je soulève la barre, sans que je me sois vraiment posé la question de comment j’allais faire. Je n’ai mal nulle part, je ne ressens pas la douleur. Rien au dos ni aux poignets, je ne les sens pas écrasé. Je ne sens pas les genoux enflammés. Ni les clavicules, en réception sur les épaules. En général, je ne me souviens même pas du mouvement que j’ai fait. Je sais que je me place et après, c’est instinctif, je déconnecte. J’ai la barre à bout de bras et je crie. C’est une absence. Je ne sais pas du tout l’expliquer. C’est ça qui est difficile à reproduire, justement. Si j’arrivais sur chaque barre, à chaque entraînement, à chaque répétition à faire ça, je serais très très forte.

Mais il y a des jours où ça ne vient pas. Ca peut être à cause de la fatigue physique, ou nerveuse. J’essaie de reproduire le schéma de réussite, de me déconnecter, de me dire que – ou plutôt de ne pas me dire quoi que ce soit justement, parce qu’en général, quand on se sent fatigué, on se dit qu’on est fatigué, et ça n’aide pas – donc j’essaie de faire abstraction de tout ça, de ne pas réfléchir en fait. Les jours où on est fatigué, finalement, on réfléchit beaucoup. Et c’est là où on ne se libère pas et que la barre pèse plus lourd. Elle porte non seulement la fatigue mais tous les doutes, toutes les pensées négatives. “Je sais que je ne la ferai pas”… “Je ne fais même pas un tirage”… “Je ne vais pas y arriver”… Ce genre de trucs négatifs.

Je connais bien mon corps maintenant parce que ça fait bientôt dix ans que je fais de l’haltéro. Et je sais reconnaître une douleur alarmante, celle qui me dit qu’il faut que j’arrête de m’entraîner vraiment, d’une fatigue ou d’une petite inflammation, qui sont là pour me dire de calmer le jeu, de continuer à m’entraîner mais avec un peu moins d’intensité. Je n’ai pas toujours su faire la distinction et je me suis déjà fait vraiment mal. Je suis allée trop loin plus d’une fois. Je ne pouvais plus tenir la barre du tout à bout de bras, j’avais le poignet complètement en vrac. Mais j’étais jeune, je ne voulais pas qu’on pense que je tirais au flanc. Et puis j’avais dix-sept ans, je me disais que j’étais indestructible. Puis, ben… souvent quand on s’arrête, c’est trop tard. Quand on ne s’écoute pas… quand on ne pense qu’à s’entraîner, c’est tout, on ne gère pas trop les facteurs autour…”

Propos recueillis par Elsa Fayner

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