
Serge Stoléru, psychiatre et docteur en psychologie, est le premier chercheur à avoir utilisé les techniques de neuro-imagerie fonctionnelle pour comprendre et théoriser les bases biologiques du désir sexuel. Dans Un cerveau nommé désir, paru en septembre 2016 (Éditions Odile Jacob), il explique à quoi tient le coup de foudre, quel rôle joue dans le cerveau la passion amoureuse, ce qui se passe sous notre crâne lorsqu’on ressent du désir. Pour nous, il poursuit sa démarche pour observer comment désir et sentiment se combinent, ou pas.
A votre santé! – D’après les recherches en neurosciences récentes, désir et sentiment amoureux appartiennent-ils à deux circuits différents dans le cerveau ?
Serge Stoléru – Sur le plan subjectif, d’abord, c’est relativement clair. Il y a en particulier la notion de durée. La sexualité peut durer quelques heures, voire moins. Le sentiment amoureux dure quelques semaines, trois ans, toute la vie… Il faut d’ailleurs distinguer entre le plaisir et la joie, à mon avis. J’ai eu longtemps tendance à les confondre. La sexualité fait naître du plaisir. L’amour donne de la joie, ou réciproquement. Spinoza le dit bien : l’amour, est « une joie accompagnée de l’idée d’une cause extérieure ». Cette cause extérieure peut être une personne, la Patrie, un idéal, etc. Le désir sexuel procure, lui, un autre état.
Et d’un point de vue neurobiologique ?
D’un point de vue neurobiologique, une seule étude fait la comparaison. Et que voit-on ? Que l’insula, une partie du cortex cérébral profondément enfouie au fond d’un pli situé sur la surface latérale de chacun des deux hémisphères, s’active davantage dans le sentiment amoureux que dans le désir sexuel. L’aire tegmentale ventrale, quant à elle, ce noyau du tronc cérébral qui joue un rôle essentiel dans les motivations, est plus citée dans les résultats d’études sur le sentiment amoureux que sur le désir sexuel. Elle donne aussi ce sentiment euphorique conféré par certains produits comme la cocaïne, en inondant le cortex de dopamine à travers le système de récompense. Malheureusement, presque aucune étude ne compare directement une émotion amoureuse avec désir sexuel, à une émotion sexuelle sans amour particulier. Ce serait passionnant.

Du côté des hormones, est-ce que ce sont les mêmes qui sont en jeu ?
L’hormone de la sexualité masculine est surtout la testostérone. Si on donne de la testostérone à un rat qui en manque – il faut qu’il soit déficitaire, sinon ça ne lui fait rien -, il va copuler mais il ne va pas s’attacher. Ce n’est donc pas un philtre d’amour. Chez la femme, c’est surtout les œstrogènes qui sont en jeu. Mais les femmes sont beaucoup moins dépendantes de leurs hormones que les hommes, et pas de la même façon. Quand les œstrogènes diminuent, à la ménopause par exemple, la femme ne voit pas son désir baisser. Le sentiment amoureux, lui, est plus associé dans la littérature scientifique, aux neuropeptides sociaux – l’ocytocine, la vasopressine.
Sentiment amoureux et désir n’ont rien à voir alors ?
Dans l’amour, il y a généralement l’union du désir et du sentiment amoureux. On peut dire que ce sont des systèmes distincts mais complètement coordonnés. Car dans une société à prédominance monogame, l’amour est lié à la procréation. Il permet de rester avec une seule personne plusieurs années et aux enfants de bénéficier d’un père. On peut penser que l’évolution a sélectionné au moins certains individus qui éprouvent un sentiment d’amour. C’est un trait qui pourrait donner un avantage évolutif. Mais attention, ce n’est qu’une hypothèse, elle est à mettre au conditionnel.

Vous avez observé le fonctionnement du désir dans le cerveau, comment naît le désir ?
Quatre composantes entrent en jeu, en interaction les unes avec les autres. D’abord, la composante cognitive: elle détermine le jugement physique de la personne que l’on voit. Schématiquement, l’information visuelle arrive dans les lobes occipitaux, elle est transmise au gyrus fusiforme qui l’envoie au cortex orbitofrontal, lequel émet un « jugement » positif ou négatif. Certaines caractéristiques entrent en jeu, retrouvées dans les diverses cultures étudiés – les hommes à larges épaules, les femmes aux hanches généreuses suscitent plus le désir, – mais il existe aussi des facteurs culturels et personnels, des préférences qui se sont forgées par le passé, en fonction des expériences de l’enfance et de l’adolescence.
Et, si l’information est : « Cette personne m’attire sexuellement », les régions cérébrales associées à la composante cognitive transmettent cette appréciation aux régions associées aux trois autres composantes – motivationnelle, émotionnelle et corporelle. La motivation pousse l’individu à agir pour se rapprocher de la personne. Mais le cerveau possède aussi des systèmes inhibiteurs.
Et dans l’amour ?
Dans l’amour, il y a beaucoup plus que l’évaluation de la personne comme sexuellement désirable, il y a une estimation de sa valeur en tant que personne. Évaluation, certes, de sa « valeur sexuelle » – belle, désirable, charmant/beau -, mais aussi de sa valeur dans tous les autres domaines : son caractère, son humour, sa façon de voir le monde, ce qui se présente à nous comme son « âme » (quel que soit le sens exact du mot), sa « musique » propre. L’attention, autre aspect de la composante cognitive du désir sexuel, est décuplée dans l’amour, que la personne soit présente ou non : tout nous y ramène, on croit la voir partout, etc. Et la motivation d’une union se fait sur d’autres plans : sur le plan sexuel mais aussi intellectuel, physique ou encore émotionnel.
Propos recueillis par Elsa Fayner