« Je ferme les yeux et je tombe dans un trou noir qui accélère le temps », Quentin Signori, gymnaste

L’effort intense engendre de la souffrance. Chaque sportif a sa méthode pour l’oublier ou l’utiliser à son profit. Des techniques qui relèvent de l’hypnose. Quentin Signori, 27 ans, de l’équipe de France de gymnastique artistique masculine, ferme les yeux et « tombe dans un trou noir qui accélère le temps »

“Ca fait mal mais ça fait du bien. C’est un peu le résumé de la gymnastique. On ressent des choses très fortes à la fois au niveau des sensations de plaisir mais également au niveau des sensations de douleur que ça amène. Mais on passe facilement au-dessus, on est formatés pour faire abstraction de la douleur. On nous apprend à la maîtriser, à la contrôler, à l’intégrer dans notre quotidien. Parce qu’elle nous fait progresser, parce qu’elle nous dit qu’on a bien travaillé. Après, on a nos petits trucs à nous…

Avant les anneaux, mon corps me dit qu’il faut que je sois prudent, parce qu’il y a des petites douleurs. Il faut que je sois vigilant, que j’écoute davantage mon corps, que je l’écoute me parler, que j’écoute les petites douleurs qui sont des petites discussions périphériques. Mon coude où j’ai mal me parle, mon biceps me parle, et après le corps me dit « c’est bon tu peux y aller! » Et j’y vais, je commence à me balancer.

Aux anneaux, l’effort est à la fois souple et longiligne, il demande beaucoup d’élan et de puissance statique à la fois. C’est la contradiction des anneaux. C’est pour ça que c’est un agrès un peu dangereux, où les articulations et les muscles passent d’un extrême à un autre. Particulièrement en croix de fer, la position verticale qu’il faut tenir à la seule puissance des bras. C’est une position qui fait mal aux avant bras, aux biceps, aux épaules mais aussi aux jambes parce qu’on est obligé d’être tendu, droit comme un bâton et le plus dur possible pour économiser du poids.

Quentin Signori à l’entraînement. Photo Hélène David / helenedavidphoto.com

Durant les premières secondes, je suis dans ma bulle. Je fixe un point au loin devant moi pour m’accrocher, pour ne pas craquer et, au bout d’un moment, il y a un tournant qui se fait et je ne vois plus rien. Je suis toujours dans ma bulle mais je ne vois plus rien. Je n’entends plus rien. La tétanie s’empare de moi. Tout mon corps est tétanisé. Mais ce ne sont pas des douleurs inquiétantes. Pas comme celles, traumatiques, qui suivent une opération ou qui annoncent une blessure. Ces douleurs-là, je les déteste, et elles me font un peu peur. Je les déteste parce qu’elles me font un peu peur aussi. Et elles me font peur parce que, du jour au lendemain, elles pourraient annoncer une fin de carrière. Si mon épaule lâche, je sais que j’aurai pas le courage de passer par toutes les phases. J’ai déjà donné. Mais en croix de fer, dans les jours normaux, c’est la douleur de l’entraînement tout simplement. C’est bon signe, ça veut dire qu’on a des muscles, que ça fonctionne. C’est une fausse douleur. Même si tout mon corps est tétanisé. C’est très étrange comme sensation. En fait, je vole, je plane. Je sens mon corps en apesanteur, l’équilibre de mon corps dans un environnement bourré de contraintes, dans l’espace. C’est jouissif mais c’est aussi intenable. Je ressens une espèce de fluctuation de mes forces, qui viennent, qui s’en vont. Qui font des aller-retour, pour essayer de continuer à me faire tenir cette position que mon corps ne peut plus tenir. Peu à peu, je sens cette force qui fuit de moi, qui me quitte. Je ne peux pas la garder plus longtemps. Mon corps me dit que c’est fini. Mais je dois encore tenir trois secondes. Le temps ralentit, s’arrête. Je sens que je vais craquer, je commence à craquer.

Quentin Signori. Photo Hélène David / helenedavidphoto.com

Et, là, je ne sais pas pourquoi mais je ferme les yeux, je ne pense à rien. Je vois noir, je ne vois rien. C’est indescriptible. Je vais puiser d’autres ressources en moi, je crois. Sans y penser, de manière automatique je ferme les yeux et je tombe dans un trou noir. A chaque fois. Comme pour accélérer le temps. Et le temps s’accélère effectivement. Et, là, il y a un regain de flux qui jaillit, une énergie qui revient, le temps de tenir les secondes qui restent. Avant de lâcher. Alors que le temps s’était arrêté, j’ai l’impression de l’avoir accéléré en fermant les yeux. C’est un peu bizarre, non?

Quand je redescends sur le sol après mon effort, le temps redevient normal, voire plus lent. Je suis monté tellement haut dans l’intensité physique que le fait de retomber ralentit tout. Pendant un certain temps, je suis au ralenti. Quelqu’un qui me regarderait me trouverait un peu nonchalant, un peu mou. J’ai été tellement explosif mais sur une fraction de seconde que tout mon rapport au temps en est décalé.”

Propos recueillis par Elsa Fayner

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