« Je ressens avec les mains, avec la peau, avec la tête », Christophe Clavier, lutteur

L’effort intense engendre de la souffrance. Chaque sportif a sa méthode pour l’oublier ou l’utiliser à son profit. Des techniques qui relèvent de l’hypnose. Christophe Clavier, 3è aux championnats de France de lutte 2014 et 2013, pourrait « lutter les yeux fermer ».

“Mon corps est fatigué, je sens que j’ai les jambes lourdes, j’ai des douleurs dans les articulations, surtout au niveau des doigts, un peu aux coudes. J’ai une petite douleur dans le bas du dos, mon dos me dit « repose-toi ». Ma douleur dans les doigts ressemble à… deux morceaux de bois qu’on frotterait l’un contre l’autre. C’est une douleur qui est assez embêtante parce qu’elle reste tout le temps, même quand je ne fais rien. Il y a des moments où elle est aiguë. En fait, ce qui est assez drôle, c’est que, lorsque je m’entraîne, je ne la sens pas. Je la sens après l’entraînement. Là, il y a des moments où ça me lance comme si on m’envoyait une petite décharge électrique. Pour me rappeler que j’ai mal.

Mais, quand j’arrive le matin à l’entraînement, je ne sens plus la douleur. Je ne sens plus la douleur à partir du moment où je commence les foulées pour m’échauffer, à partir du moment où je me mets à trottiner, à faire quelques mouvements articulaires. A partir de quatre minutes d’entraînement à peu près, je sens mes pores qui s’ouvrent, j’entre dans un état de sudation, je me mets à transpirer et, à partir de là, je me sens de mieux en mieux. En fait, je sens que mon corps est prêt pour encaisser une charge d’entraînement. Je n’ai pas peur, je lui fais confiance. Mes mains, à ce moment-là, n’ont qu’une envie, c’est d’entrer en contact avec un adversaire, de l’agripper, de l’attraper. Pour sentir que je suis bien, que je suis au-dessus, que j’arrive à contrôler mon adversaire.

Et quand enfin les combats commencent, la douleur est totalement oubliée, loin derrière. Parce que je suis dans un état spécial. Je ressens avec les mains, avec la peau, avec la tête. Je ressens l’énergie de l’adversaire. Je l’entends aussi, j’entends son souffle, s’il bloque la respiration, ou s’il respire normalement. Je sens s’il est fatigué ou s’il n’est pas fatigué, s’il respire fort ou s’il ne respire pas fort. Je l’entends. Ce n’est pas la vue qui permet d’agir mais c’est la sensation. Si je regarde mon adversaire, je vais avoir un temps de retard. Lorsqu’il déclenche l’action, s’il est à distance et que je le vois partir, ça va être dur de le contrer parce que je n’aurais pas le temps de réagir assez vite, alors que, si je suis au contact et que je sens le moment où son geste va partir, là, je vais savoir comment me placer pour parer son attaque. Dans ces cas-là, je ne vois pas le visage de l’adversaire, je vois des bras, des jambes, un tronc, une tête, mais je ne vois pas les détails. Seule ma peau, seules mes mes mains sentent. C’est un apprentissage. C’est comme un enfant qui apprend à parler. On va dire que moi, sur le tapis, je parle avec mes doigts et avec mes mains. Et je pense qu’avec cette sensibilité, on peut lutter les yeux fermés.

Ca m’arrive de sortir de ces moments-là de concentration et, là, la douleur peut revenir. Ca peut arriver quand je suis contrarié, s’il y a un truc juste avant l’entraînement qui m’a préoccupé – si je me suis embrouillé avec ma petite-amie par exemple -, si je suis en état de stress. Alors je vais être moins concentré, et plus penser à mes douleurs. Dans ces cas-là, il faut que je me rééchauffe, que je me sente de nouveau mes pores s’ouvrir, la sudation, mes mains qui ont envie d’agripper. J’essaie de me reconcentrer, de me remobiliser. Sinon ça peut stopper un entraînement.

Plusieurs fois je me suis fait dans un combat et je ne m’en suis aperçu qu’après. Une fois, lors d’un tournoi en Italie, je me suis fait mal au coude et au doigt mais je me suis tellement mal au doigt que j’en ai oublié que j’avais mal au coude. Une semaine plus tard, je m’en suis rendu compte mais je ne savais plus où je m’étais fait mal au coude J’avais pourtant une rupture partielle du ligament collatéral médial.

Les courbatures, elles, viennent le lendemain. J’ai des petites douleurs dans le dos, dans les doigts, un peu dans le cou. Dès le réveil. En fait, c’est une habitude. Je ne sais plus ce que c’est que de se lever et de pas avoir mal quelque part. On apprend à vivre avec la douleur. Je me dis que je suis fou, que plus tard je vais certainement avoir des problèmes au niveau physique. J’ai déjà dû faire des radios de mon rachi cervical suite à des blessures et on m’a dit que j’avais le rachi cervical d’une personne de 50 ans, alors que j’avais 21 ans. Mais, bon, on fait confiance à la médecine. D’ici quelques années, il y aura des solutions.”

Propos recueillis par Elsa Fayner

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