« Moi aussi je pensais que la dépression était un phénomène purement occidental avant »

Copyright Thembela Nymless Ngayi.
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Thembela Nymless Ngayi, 30 ans, est un photographe sud-africain installé à Cape-Town. Il a publié une série de clichés intitulée le cauchemar africain, The Great African Horror Story, que vous pouvez découvrir sur Facebook. A travers ses photos, il cherche à bousculer le tabou qui entoure les maladies mentales en Afrique.

A votre santé ! – Pourquoi avez-vous décidé de photographer la dépression ?

Thembela Nymless Ngayi – En 2015, j’ai traversé une période très difficile à la fois professionnellement et personnellement. Je ne m’étais jamais senti aussi mal. Tout était confus, j’étais incapacable de ressentir la moindre joie. Comme si le monde était devenu gris. Quand je suis allé mieux, j’ai décidé de raconter mon histoire. J’ai eu de la chance d’avoir un moyen de m’exprimer. La photo m’a servie de thérapie.

Comment la jeune fille en noir est-elle apparu dans vos photos ?

La jeune fille a plusieurs significations. La période que j’ai traversé était très noire. Cette jeune fille représente une ombre menaçante, comme un nuage sombre au-dessus de moi. Elle représente aussi les mères, les soeurs et les filles qui font le deuil d’un être aimé et qui éprouvent un grand chagrin. En 2002, un ami de l’école s’est suicidé. Sa mère était toujours triste, seule, vêtue de noir. Ce souvenir a, en partie, inspiré la jeune fille.

Que représente-t-elle ? Quel message envoie-t-elle ?

Elle représente la société, la communauté noire dans laquelle j’ai grandi. Sur certains clichés, vous la voyez se montrer indifférente au personnage masculin qui cherche à attirer son attention. C’est cette même société qui vous ignore quand vous allez mal. Vos amis prennent de la distance avec vous.

La dépression est-elle un tabou en Afrique ? Pourquoi ?

Toutes les maladies mentales restent taboues en Afrique. Nous avons beau avoir de jeunes artistes comme Tsoku Maela qui parle de la dépression à travers son art, les gens préfèrent se taire. C’est un problème dont personne ne parle car il n’y a pas de sensibilisation ni d’éducation.

Vous dites que le tabou est plus important chez les hommes ?

Durant toute mon enfance, on m’a répété qu’il fallait que je sois fort, dur, un vrai homme. Il ne fallait jamais montrer aucune émotion, comme pleurer ou exposer sa vulnérabilité car c’était une marque de faiblesse. Nous ne parlions pas de nos problèmes et nos sentiments étaient enfouis. Quand un homme pleure, c’est vu comme une faiblesse du coup, il a tendance à cacher ses émotions jusqu’à l’explosion.

Copyright Thembela Nymless Ngayi.
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Comment regardiez-vous la dépression avant et comment ce regard a-t-il évolué ?

Pour être honnête, je pensais que ceux qui souffraient de la dépression cherchaient à attirer l’attention sur eux ou qu’ils n’étaient pas assez forts pour faire face à leurs problèmes. Depuis que j’ai traversé la dépression moi-même, j’ai appris à être mieux comprendre ce qui se cache derrière un mal-être.

On entend souvent que la dépression est une invention de l’Occident, que répondez-vous à cela ?

Oui, tout le monde dit ça. Moi aussi je pensais que c’était un phénomène purement occidental avant. Maintenant, je me rends compte que cela peut toucher n’importe qui quelle que soit la couleur de peau ou l’éducation. C’est une réalité humaine. La seule différence, je pense, c’est la manière d’y faire face. En Occident, si vous allez mal, vous faites un thérapie ou vous suivez un traitement, mais en Afrique, surtout dans les zones rurales, si vous souffrez d’une maladie mentale, la réaction est immédiate : soit vous avez été ensorcelé, soit vous êtes sous le joug d’un ancêtre. On ne parle pas de dépression ou d’angoisse. J’espère que mon travail contribuera à informer les gens et susciter des discussions.

Quelles ont été les réactions à votre travail jusqu’à présent ?

J’ai reçu des retours très positifs. J’ai vu certains de mes collègues s’ouvrir et parler de santé mentale. Mais, il faudrait que l’éducation autour de cette question soit obligatoire dans les écoles, que cela fasse partie du programme. J’encourage ceux qui en souffrent à en parler, à écrite. Ecrire peut aider. Chercher des numéros d’aide d’urgence ou des centres de soins psychologiques aussi.

Propos recueillis par Stéphanie Braquehais.

Pour aller plus loin

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