Qu’est-ce que le burn-out ? Et ce qu’il n’est pas.

« Le burn-out n’existe pas, c’est une dépression. La dépression n’existe pas, c’est de la rage. De la rage retournée contre soi », Robert Neuburger (Dessin Carole Maurel carolemaurel.blogspot.fr).

Dans Les paroles perverses, paru en septembre 2016 (Payot), le psychiatre Robert Neuburger montre qu’il existe peu de « pervers » mais beaucoup de « paroles perverses » et qu’il est possible de les repérer avant d’en être affecté. Il en va de même pour un autre terme à la mode, le « burn-out », qui succède au « harcèlement moral » : revenons à sa définition exacte – ou débarrassons-nous du concept – car la souffrance psychique au travail, elle, est bien réelle. Et il existe un remède.

A votre santé ! – Comment définiriez-vous le burn-out ?

Robert Neuburger – Cette histoire de burn-out servi à toutes les sauces commence à m’énerver. C’est devenu un mot-valise : on fait des burn-out familiaux, des burn-out conjugaux, etc. Je trouve que c’est dommage parce que, dès qu’un mot devient trop extensif, il n’a plus de valeur. Il n’a plus de valeur parce qu’en réalité il n’a plus de sens. Il y a beaucoup de mots qui n’ont plus de sens de nos jours et je trouve que c’est grave. On pourrait faire la même chose sur les « pervers narcissique », ou le « harcèlement moral ». J’avais inventé une phrase un jour qui disait : « j’ai fait un burn-out parce que j’ai été harcelé moralement par un pervers narcissique ». Vous avez là les trois mots qui ne veulent absolument plus rien dire. Et c’est dommage parce qu’ils veulent dire quelque chose.

Qu’est-ce que ça veut dire alors ?

Le burn-out a été décrit très clairement quand il concernait uniquement les aidants, de toutes sortes, et en particulier dans le milieu médical. Il traduisait un phénomène qu’on pouvait observer, qui était répétitif, à savoir des gens qui étaient hyper impliqués, hyper motivés pour aider dans différents domaines et qui, au bout d’un certain temps, étaient confrontés au fait que leur investissement ne correspondait pas à un retour sous la forme d’une gratitude de la part des gens qu’ils aidaient, ou d’une reconnaissance de la part de la hiérarchie. Au bout d’un certain moment, ils réagissaient tous de la même façon – c’est pour ça qu’on a pu décrire le phénomène : ils réagissaient comme si ils n’en avaient pas fait assez, c’est-à-dire qu’ils en rajoutaient dans leur investissement, jusqu’à sortir du boulot à pas d’heure, à ne plus avoir de limites. Et, au bout d’un certain moment, se passait encore un nouveau phénomène : la situation devenait telle que ces mêmes personnes désinvestissaient les gens à qui elles s’adressaient, c’est-à-dire que tout à coup il y avait une espèce de froideur qui s’emparait d’elles, une distance. Elles pouvaient même considérer les gens comme des objets. C’est la description du burn-out. Le signe spécifique du burn-out réside dans le fait de déshumaniser les patients. Tout à coup une espèce d’indifférence. Qu’on sent parfois très bien chez les infirmières qui sont surchargées et qui n’ont pas de retour de leur hiérarchie. On a parlé de burn-out parce qu’on avait l’impression que les gens consumaient leur capacité de sympathie, de don d’eux-mêmes.

Donc ça ne tombait pas sur n’importe qui ?

Ca ne tombait pas sur n’importe qui. Ca tombait sur des aidants. Le fait que l’on veuille aider, dans notre milieu à nous des aidants, n’aide pas du tout les gens en fait. On s’aide nous-mêmes en réalité. De toutes façons, on ne peut pas aider les gens. Psychologiquement, on peut les aider à s’aider eux-mêmes. Mais si on les aide, on les rend dépendant, ce que font beaucoup de psys aujourd’hui. Si on les aide, on aggrave leur situation. Dans le burn-out, cette attente – d’aider les gens – n’est pas comblée et il y a cette situation de retrait. Je crois que le mot « burn-out » a beaucoup plu parce que celui de « dépression » commençait à être déprécié.

« Burn-out » fait moins médical que « dépression » ?

Oui. Sauf que maintenant les labos ont compris le truc et qu’ils essaient de tirer maintenant le burn-out du côté de la maladie aussi. Il y a toute une discussion à l’Assemblée nationale pour introduire le burn-out parmi les maladies professionnelles. Pour que le burn-out soit traité à coup d’antidépresseurs ?! On n’arrête pas d’inventer des pathologies. L’hyperactivité, les hauts potentiels… Tout y passe en ce moment. Scientifiquement, c’est absurde. C’est dangereux en plus. On pathologise les enfants à l’école en les traitant d’hyperactifs au lieu de penser qu’il y a un problème pédagogique. De la même manière, on pathologise les gens qui travaillent en disant qu’ils font des burn-out… Les labos l’ont très bien compris, qui démarchent surtout les généralistes. Ce sont eux qui prescrivent beaucoup là-dessus. Et la Sécu marche là-dedans, c’est ça qui est fou.

Mais le burn-out relève bel et bien de la dépression ?

Oui. Sauf que la dépression n’existe pas plus que le burn-out.

C’est-à-dire ?

Le gros problème qu’on a en psychiatrie, c’est ce découpage des gens en rondelles. On crée des maladies en isolant un certain nombres de symptômes. Mais quand on suit l’histoire, on s’aperçoit que les découpages n’ont jamais été les mêmes. En plus, ils ne signifient pas la même chose pour chaque médecin, ni d’un pays à l’autre. Prenez la schizophrénie. Vous allez à un congrès sur la schizophrénie et vous vous mettez à la sortie avec un micro pour demander à chaque médecin ce que c’est que la schizophrénie. Vous allez avoir autant de réponses que de gens présents. En plus, la schizophrénie aux Etats-Unis ne veut pas dire la même chose qu’en France. Et même au niveau des médicaments… Le problème, c’est que les gens adorent les diagnostics. Je crois qu’ils ont peur de se confronter à eux-mêmes, de se demander « mais, attends, moi je fais quoi, moi, là-dedans ? »

Qu’est-ce qu’il faudrait faire ?

Il y a des gens qui savent se guérir. J’ai rencontré un monsieur l’autre fois dans le TGV et on a discuté. Quand je lui ai dit que j’étais un peu psy, il m’a raconté qu’il avait « failli faire une dépression ». Il s’était fait licencier et il a imaginé toutes les façons d’assassiner son patron. Et quand il a eu trouvé la façon avec laquelle il était sûr de ne jamais être attrapé, il s’est senti mieux, il était guéri.

Vous encouragez les salariés à imaginer qu’ils vont tuer leur patron ?!

Toutes ces histoires de déprime au boulot, et caetera, si vous voulez, sont des régulateurs sociaux. Pour éviter une mobilisation de la rage que les gens ont à l’intérieur. La rage n’a plus de statut aujourd’hui. On se fait plaquer, on n’a pas le droit d’être en rage. C’est banalisé. On se fait virer, on n’a pas le droit d’être en rage. On ne peut plus « être » en deuil, on doit « faire » son deuil. Du coup, la rage se retourne contre les gens. C’est ça la dépression. C’est ça le burn-out. Mais ça fait longtemps qu’on utilise la psychiatrie comme régulateur social, qu’on rationalise par la pathologie. Les Soviétiques ont fait ça très très bien.

Pour vous, c’est la rage des gens qui sont virés, mal au travail, stressés ?

Ce sont des pathologies liées à des atteintes à la dignité des gens. Mais les gens ont peur pour eux-mêmes. Alors ils ne disent rien. Et c’est vrai que, dès qu’il y en a un qui sort la tête, il risque vraiment de se la faire couper. Ce sont des pathologies de la désappartenance aussi. Avant, il y avait une programmation pour être accepté socialement. Aujourd’hui, c’est exactement le contraire. Il y a des gens qui n’ont pas d’appartenance. Leur famille est loin, leur couple s’est cassé la figure, le boulot est nul et il ne savent pas comment s’y comporter.

Alors, je repose ma question, que faudrait-il faire ?

Le contraire de la dépression, c’est la rage.

Et comment peut s’exprimer cette rage aujourd’hui ?

Mon idée, c’est toujours de mobiliser les gens d’une façon ou d’une autre. Je me souviens d’un ami qui s’était fait débarquer du jour au lendemain parce qu’il avait trop bien fait. Ses chefs voulaient fermer une usine mais il avait réussi à la relancer. Il avait été foutu à la porte salement et il s’était effondré. Il a été voir un analyste, il ne s’en est jamais sorti. Jamais. Parce que l’analyste le foutait sur le divan et le type remâchait pour essayer de voir tout ce qu’il avait fait comme bêtises. Ca l’a pas beaucoup aidé. Mais alors vraiment pas. Vous voyez, ma question, c’est : comment éviter ça ? C’est pour ça que j’essaie de remobiliser les gens, et déjà d’aborder cette question du droit qu’ils ont à se sentir en rage, d’avoir des fantasmes de ce côté-là. C’est tout à fait différent comme approche. Et puis éventuellement, les gens peuvent se manifester au niveau politique, au niveau de l’engagement. Il y a des choses à faire.

C’est difficile ?

Des névrosés, des angoissés, qui se posaient des questions sur le monde, on n’en voit plus beaucoup. Les gens viennent maintenant en disant « j’ai subi ci », « j’ai subi ça », « ma vie a été un enfer ». Ce sont des blessés de la vie. Des isolés, des divorcés, des virés. Aujourd’hui, on n’accepte plus, ou de plus en plus difficilement, cette part où les gens sont responsables de leur propre destin. C’est dans ce sens là que je dis qu’il n’y a plus de névrosés. C’est-à-dire que les gens ne viennent pas pour ça et quand vous commencez à les questionner sur leur vie, tout ça, ils vous regardent de travers en se demandant « mais qu’est-ce qu’il me veut, le monsieur ? » Ce qui pose de gros problèmes de prise en charge.

Faire du yoga, de la méditation, ce n’est pas exprimé sa rage ?

Non. Ca veut dire « fermez vos gueules » en français. Les gens n’ont plus le droit d’être en colère, ils n’ont plus le droit de hurler.

Hurler en entreprise ?

Il y en a qui le font mais c’est toujours pareil : c’est encadré, c’est sur ordonnance. Il y a un horaire et un endroit. On peut hurler de midi à midi dix…

Rien n’est possible au sein de l’entreprise pour vous ? Elle est fichue en elle-même ?

Le gros problème actuel, c’est la déshumanisation. La déritualisation. Cette espèce d’individuation absurde. J’en veux pas mal aux psychanalystes parce qui ont confondu l’autonomie et la solitude. Pour être autonome, il faut couper. C’est bien gentil mais une fois que vous avez coupé, vous faites quoi ?

Propos recueillis par Elsa Fayner

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