« Une part croissante d’actifs travaille avec une maladie chronique, comment s’adapter à eux ?”

De la série House of cards.

La sociologue Anne-Marie Waser a mené avec Dominique Lhuillier plusieurs recherches actions sur « Vivre et travailler avec une maladie chronique ». Elle a co-organisé au CNAM le colloque « Santé dégradée, santé négociée. Le travail en question » les 1er et 2 décembre 2016, auquel ont assisté plus de six cents quarante professionnels de la santé au travail.

Travailler avec une maladie chronique se révèle-t- il plus difficile qu’avant ?

Avant, le modèle de la santé au travail était celui de la maladie aiguë. Une pathologie, un arrêt de travail, puis le retour au travail comme si de rien n’était. Avec les transformations du travail, les évolutions des possibilités et des modes de traitement, l’attention plus grande portée aux troubles psychiques, le recul de l’âge de départ à la retraite et le vieillissement de la population dite active, on se retrouve avec une part croissante d’actifs touchés par une ou plusieurs maladies chroniques. Ces actifs combinent santé altérée et travail, maintien dans l’emploi ou recherche d’emploi.

En France, on estime que près de 10 millions de personnes en âge de travailler sont concernées par une ou plusieurs maladies, troubles ou handicaps qui limitent leurs capacités. Les pathologies chroniques comportent deux traits communs : la durée de la maladie qui ne permet plus de l’aborder comme une parenthèse dans le cours d’une vie et une obligation de gérer de la chronicité dans toutes les sphères de la vie sociale, y compris au travail. Pourtant, le malade ou la maladie sont encore perçus comme une anomalie, une pause dans une vie qui doit se refermer au plus vite pour retrouver la vie d’avant. La place du malade serait celle que lui assigne l’arrêt maladie, hors du travail, dans la suspension du contrat de travail.

Les salariés concernés souhaitent-ils généralement continuer à travailler ?

Tout à fait. Comme le montrent plusieurs études qualitatives sur la vie des personnes touchées par une maladie chronique et en âge de travailler, une majorité d’entre elles souhaite poursuivre ou reprendre une activité, non seulement pour des raisons financières, pour l’intérêt que peuvent revêtir l’activité et les relations au travail mais aussi parce que l’activité est un puissant instrument de dégagement de l’emprise de la maladie et de l’enfermement dans le statut social de malade.

Pour favoriser le maintien dans l’emploi des travailleurs fragilisés, quelles solutions novatrices, sortant des approches individualisantes, sont à privilégier ?

Pour contribuer à l’accompagnement des personnes vivant avec une maladie chronique, plusieurs offres de dispositifs se sont progressivement construites. Les psychologues y tiennent le plus souvent une place importante tant dans la définition des objectifs poursuivis et des cadres à élaborer que dans leur animation. Mais la part des dispositifs collectifs est en développement également du fait des apports du groupe à ces processus de reconstruction et d’apprentissage. L’espace du groupe, le partage d’expérience avec les pairs permet au sujet de ne pas s’effondrer et de soutenir le travail de subjectivation sollicité par l’irruption de la maladie et sa portée traumatique. Et ce d’autant plus que bien souvent la maladie met en péril les différentes appartenances du sujet. Souvent, ces dispositifs sont présentés comme des « groupes de parole ». Cette formule générique recouvre en réalité des objectifs, des conduites, des référentiels différents. Mais il existe d’autres types d’interventions, en entreprises cette fois, menées par des ergonomes notamment, autour d’une personne en situation de handicap ou avant un licenciement pour inaptitude par exemple. Dans certains dispositifs, l’ergonome analyse le travail au poste, ses contraintes et fait des propositions pour que la tâche soit facilitée: on ne part pas du malade mais du travail, pour que ce soit l’environnement, les collègues, l’organisation du service, de l’équipe qui s’adaptent aux limitations temporaires ou durables aux variations de capacités productives.

Propos recueillis par Elsa Fayner
Elsa Fayner

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