« La course à pied était devenue une excuse pour aller chercher un shoot »

Dessin de Carole Maurel (carolemaurel.blogspot.fr)

Après des années à courir dans la douleur pour arriver à ce « shoot d’hormones qui faisait planer », Stéphane Brogniart, un ultra-trailer de 41 ans, a changé sa façon d’envisager l’effort physique. Il a cessé de courir pour le podium et pour battre les concurrents. Seul avec lui-même et dans l’instant présent. Paradoxe: il a atteint le top 10. Peut-on alors vraiment parler de conversion? Il répond à la journaliste Garance Renac.

« Quand on court dans la douleur, on ne sent jamais quand ça arrive mais on est prêt à tout pour atteindre le moment de plénitude qui arrive, forcément. On est presque contents d’avoir eu mal pour atteindre cet instant. Après avoir couru un certain temps, les décharges hormonales pour supporter la souffrance de l’effort, semblable aux morphiniques, donnent une sensation de bien-être. D’un seul coup, en quelques secondes, il n’y a plus de douleur. On a l’impression de ne plus toucher le sol, de voler.

Comme une drogue

C’est ce plaisir qui donne envie d’y retourner tous les jours. C’est clairement la même démarche intellectuelle, philosophique et la même dépendance physique que celle d’une personne qui consomme de la drogue dure ou l’alcool. C’est le même fonctionnement, les mêmes hormones qui inondent le cerveau. Je le comprends. Je l’ai vécu. C’est ce qui motivait à continuer. Avant.

Quand j’étais en train de courir dans la douleur, que j’augmentais la cadence pour doubler un concurrent, j’étais au nirvana. Je me disais « regarde bien mon numéro de dossard, je te marche dessus, je suis meilleur que toi ». Et là, double dose ! Mais 10 min plus tard ça retombait, alors je cherchais le prochain mec à doubler. Quand j’arrivais à monter sur le podium, je reprenais une décharge hormonale, comme un énorme shoot de cocaïne. Là, c’est l’égo.  Tout s’écroulait quand je redescendais. Dans le cerveau résonne alors « A quand le prochain shoot ? ». Pour revivre ça, j’étais prêt à m’entrainer dur.

Je m’entraînais dans la violence

Et puis, à un moment donné, j’ai tout perdu. Je me suis éloigné de mon milieu social. Je me suis renfermé sur moi-même avec pour seule obnubilation ces petites minutes de décharge hormonale. Je me suis accroché à ça et j’étais capable de me faire mal pendant des heures pour ces quelques minutes. Je me suis entrainé dans la violence jusqu’à mettre mon corps en danger. La course à pied était devenue une excuse pour aller chercher un shoot. Même sur une épreuve de 20h, seuls ces instants m’intéressaient. Quand je m’en suis rendu compte, j’ai dit stop à tout ça.

J’ai choisi d’aller vers une pratique de bien-être, de stabilité et donc vers la méditation. La course a ce pouvoir méditatif. J’ai fait un gros travail de préparation mentale pour courir autrement. J’ai mis en place un processus me permettant de profiter de l’instant présent. Il faut faire travailler le cerveau pour le ramener au même endroit que le corps. Quand je cours désormais, je suis là pour donner le meilleur de moi-même à cet endroit-là, à cet instant-là. Mon espace ne fait plus que 4 m². Plus rien n’existe autour de moi. Je trouve la bonne résonance, la bonne foulée. Tout est fluide et calme. Je ne pense plus au prochain ravitaillement, au concurrent à doubler ni au podium. En me détachant de ces décharges, je donne le meilleur de moi-même.

Courir 29 heures grâce à la méditation

Sans le chercher, j’ai atteint le top 10 mondial. Et cela malgré le fait que je ne m’intéresse plus à la performance et de ce qui en découle. En 2016, j’ai fait 29h de course pour la diagonale des fous en méditant. Je vis un état supérieur à ce shoot d’hormones que je croyais super.  C’est un bonheur simple qui me paraît sain. Il ne se passe pas un truc de dingue hormonalement mais je passe un bon moment tout au long de la balade. »

Propos recueillis par Garance Renac

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