Dopage amateur : « une altération de la fonction cardiaque avec une hypertrophie du cœur »

Dessin de Carole Maurel (carolemaurel.blogspot.fr).

Pour A Votre santé !, Xavier Bigard, le conseiller scientifique de l’Agence Française de Lutte contre le Dopage (AFLD),  décrypte le témoignage de Maxime qui a pris sa première cure de stéroïdes anabolisants à 26 ans, comme nous le racontions. Maxime – aujourd’hui 37 ans – pratiquait tous les jours en salle de sport, jusqu’au moment où il a senti qu’il plafonnait. La visite sur les sites de consommateurs et les conseils d' »experts » ont achevé de le convaincre : il a commencé à consommer des produits illégaux, estimant maîtriser les risques pour sa santé. Nous avons voulu savoir ce qu’il en est vraiment.

A votre santé ! – Ayant l’impression de stagner, Maxime s’est renseigné sur internet sur les produits dopants, est-ce de plus en plus fréquent? 

Xavier Bigard – Revenons d’abord sur la définition du dopage. Ce que Maxime fait ne peut être considéré comme du dopage puisque le terme ne concerne que l’utilisations de ces produits par des sportifs, c’est-à-dire par des professionnels qui se préparent ou qui sont en compétition. L’utilisation de ces mêmes produits par la population générale nous interpelle, nous inquiète, mais elle ne relève pas notre sphère d’influence à Agence Française de Lutte contre le Dopage. Notre domaine d’action est circonscrit à l’utilisation par les sportifs professionnels de substances interdites.

Si vous prenez des stéroïdes pour changer votre allure ou développer votre masse musculaire, par exemple, vous pouvez relever des réglementations du ministère de la Santé concernant le circulation de substances vénéneuses et encourir des poursuites judiciaires pour l’utilisation ou la revente de ces substances. De même la même manière que le serait un trader sous cocaïne. Mais vous ne serez pas poursuivis par l’AFLD puisque vous n’êtes pas en compétition. Cette pratique n’est donc pas du dopage mais reste un vrai problème de santé publique. Nous ne pouvons qu’alerter le ministère de la santé à ce sujet.

Maxime craint les produits de contrefaçon et se lance quand il trouve des stéroïdes anabolisants recommandés par d’autres utilisateurs parce que non frelatés. Les produits « purs » sont-ils moins dangereux pour la santé ?

Non ! Les produits que Maxime considère comme néfastes sont certes des produits qui ne sont pas fabriqués dans des conditions d’hygiène réglementaires, ou qui ne contiennent pas de substances actives, voire qui contiennent des substances frelatées, pour arnaquer le client. Mais, au contraire, ce contre quoi lutte l’AFLD, ce sont les produits purs que Maxime souhaite utiliser ! Parce qu’ils sont composés de substances interdites par la loi française.

Nous sommes très sensibles à l’approvisionnement des dopants via Internet. Cela pose énormément de difficulté car les fournisseurs sont installées à l’étranger. Remonter une filière au niveau international est très compliquée. Il faut une collaboration très efficace entre les services de gendarmerie, de douanes, la AFLD, pour essayer de saisir les produits, quand nous avons suffisamment d’informations, au moment de leur arrivée sur le territoire français. C’est un vrai problème pour lequel nous n’avons pas de solution toute trouvée compte tenue de l’absence de régulation internationale. De nombreux pays n’ont pas de contrôles ni de réglementations internes pour pouvoir contrer la fabrication, l’utilisation et l’exportation de produits dopants.

Vous luttez contre les produits dopants parce qu’ils sont interdits. Mais pourquoi le sont-ils ? Quels sont leurs effets sur la santé ?

D’abord une précision : qu’ils soient pris en comprimés ou en injection, les stéroïdes anabolisants ont les mêmes effets. Maxime décrit ce que l’on connait : la force explosive, la libido décuplée, l’agressivité. Ce sont les effets qui surviennent en premier, mais il y a d’autres conséquences.

Le consommateur ne va pas le ressentir tout de suite mais il y aura forcément une altération de ses caractéristiques sexuelles. Une partie des stéroïdes anabolisants se transforme en œstrogènes chez l’homme et donc induire des phénomènes de féminisation comme une gynécomastie, le gonflement des seins. Le phénomène est inversé pour la femme utilisatrice qui va avoir des signes de masculinisation avec une pilosité importante, une hypertrophie du clitoris, une modification du timbre de la voix, etc. Il y a de réelles modifications des caractéristiques sexuelles qui sont liées à ces stéroïdes.  En ce qui concerne la sexualité explosive, sur le long terme, je dirais plutôt le contraire car, cliniquement, les hommes ont tendance à décrire une altération de leur libido à cause de cette transformation des stéroïdes en œstrogènes. Ce  phénomène, appelé aromatisation des hormones, prend du temps. Cela ne va pas se faire dès les premières injections, mais cela survient assez rapidement tout de même.

On peut également citer les cirrhoses, les tumeurs, les cancers des testicules et bien d’autres conséquences mais ce dont devraient s’inquiéter ces consommateurs sont les altérations cardiaques très graves après une dizaine d’années d’utilisation. C’est, en dehors de tous les effets hormonaux évoqués plus tôt, un véritable danger. Une épée de Damoclès au-dessus de leur tête. Cela a été décrit dans de nombreuses études. Il y a une altération de la fonction cardiaque avec une hypertrophie du cœur qui devient de moins en moins efficace. L’évolution classique est une insuffisance cardiaque, un accident coronarien, la mort subite.

Et quand on arrête?

Après l’arrêt des stéroïdes, les anciens consommateurs ne peuvent espérer qu’une récupération partielle de leurs capacités cardiaques. Pour entrer dans le détail, ils ont une récupération de la fonction systolique (contraction) mais pas de récupération de la fonction diastolique (relâchement) du cœur. Quoi qu’il arrive, d’un point de vue vasculaire, personne ne sort jamais indemne d’une cure de stéroïdes. En revanche, cela a moins été décrit mais, sur le plan hormonal, il n’est pas exclu de retrouver l’ensemble de ses fonctions notamment sexuelles.

Toutes les substances dopantes ne sont pas aussi inquiétantes mais les stéroïdes anabolisants sont les substances les plus dangereuses. Or les agents anabolisants sont les plus utilisées : ils représentent 50 % des contrôles positifs dans le monde. C’est avoir la tête dans le sol que d’être aussi optimiste à propos de ces produits.

Propos recueillis par Garance Renac

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3 commentaires

  1. Je ne connaissais pas les problèmes cardiologiques irréversibles liés au dopage. En informer les sportifs de ce risque n empêchera pas le dopage!

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